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Anti-gaspi : comment le secteur du bâtiment s’organise pierre par pierre

Le 11/01/2024
par Isabelle Flayeux
Adoptée le 10  février 2020, la loi Agec relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire oblige les artisans fabricants ou importateurs à financer la fin de vie des Produits et matériaux de construction du secteur du bâtiment (PMCB) dès leur mise sur le marché. L’argent des écocontributions perçu par les éco-organismes du bâtiment vise à améliorer la collecte et le recyclage des déchets.
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La ressourcerie Rémabat, basée à Felletin (Creuse) prend en charge la collecte de matériaux réemployables en pied de chantier ou dans les locaux et propose un service de dépose soignée.

Avec la mise en place d’une nouvelle filière à Responsabilité élargie des producteurs (REP) pour les PMCB, la loi Agec entend accélérer le changement de modèle de production et de consommation afin de limiter les déchets et préserver les ressources naturelles, la biodiversité et le climat.

Reportée à plusieurs reprises, la filière REP pour les PMCB est entrée en vigueur le 1er mai 2023. Pour Rami Jabbour, directeur communication et marketing chez Valobat : "Elle vise à accélérer l’économie circulaire dans le bâtiment, c’est-à-dire à améliorer la gestion des déchets avec un focus particulier sur le tri à la source, donc sur le chantier. Le secteur génère annuellement 46 millions de tonnes de déchets. 75 % sont soit valorisés, soit recyclés, 25% partent en enfouissement. Cette part colossale s’explique principalement par le mélange des déchets sur chantier. L’impossibilité de les 'reséparer' ensuite empêche toute forme de revalorisation."

Une adhésion obligatoire

La REP est fidèle au principe du pollueur/payeur, le payeur étant le fabricant ou l’importateur, autrement appelé "metteur sur le marché ".

Pour financer la fin de vie des matériaux de construction dès leur mise sur le marché, il verse une contribution financière (écocontribution) à un éco-organisme.

La REP s’organise autour de deux catégories :

  • la catégorie 1 pour les déchets inertes,
  • la catégorie 2 pour les déchets non dangereux non inertes.

Quatre éco-organismes détiennent un agrément pour la gestion des déchets du bâtiment : Écominéro (catégorie 1), Écomaison, anciennement Éco-mobilier, Valdélia (catégorie 2) et Valobat (catégories 1 et 2).

"Notre rôle est d’orchestrer la filière, c’est-à-dire de mettre en conformité les metteurs sur le marché de produits neufs. À l’aide des écocontributions collectées, nous élaborons un schéma de collecte, de traitement et de recyclage des déchets du bâtiment", précise Rami Jabbour.

Agréé en octobre 2022, Valobat regroupe près de 4.300 adhérents, soit 50% des metteurs sur le marché. Obligatoire, l’adhésion à un éco-organisme se matérialise par la signature d’un contrat et la déclaration des quantités de matériaux mises sur le marché.

"Sur cette base-là, et au regard d’un barème préétabli, nous adressons aux entreprises une facture d’écocontribution qu’il est possible de répercuter à leurs clients. Tous les acteurs sont redevables depuis mai 2023, il est donc conseillé de se mettre en conformité rapidement pour éviter un paiement rétroactif." 

Le conseil d'expert

Rami Jabbour, Directeur communication et marketing chez Valobat : "Valobat a développé une application mobile pour faciliter le dépôt de déchets auprès d’un point de reprise. Destinée aux détenteurs de déchets, ValoDépôt dispose de plusieurs fonctionnalités parmi lesquelles : choix du ou des chantiers d’où proviennent les déchets concernés, saisie des quantités à déposer par matériau, choix du point de reprise parmi les lieux proposés par l’application ou parmi les points de reprise favoris, affichage d’un numéro et d’un QR code, à présenter lors du dépôt."

Président des Métiers du bois de la Capeb (Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment), Jean-Michel Martin affirme la volonté naturelle d’implication de la filière dans cette dynamique : "La revalorisation des déchets est dans l’ADN des artisans du Bâtiment qui ont pour habitude de réutiliser des matériaux. Une traçabilité se met en place progressivement sur nos déchets, depuis le devis jusqu’au dépôt en point de collecte. La Capeb s’investit pleinement dans la démarche de la REP tant il s’avère nécessaire de décarboner pour l’avenir et de récupérer au maximum ce qui a déjà été mis en œuvre, pour éviter de recréer." 

Les élus de la confédération participent aux comités des parties prenantes des éco-organismes et les administratifs du Pôle technique et professionnel assistent à leurs comités techniques opérationnels (CTO). La Capeb est également présente au CTO de l’organisme coordonnateur Ocab.

"Nous tenons à ce que le lien soit constant. La Capeb s’est mobilisée très tôt pour limiter le nombre d’entreprises devant adhérer à un éco-organisme en demandant que l’écocontribution soit répercutée en amont des achats, et pour une mise en place simplifiée.

Trois métiers du Bâtiment sont impactés par l’adhésion à un éco-organisme : les métiers du bois, la construction métallique et les entreprises de gros œuvre qui font de la préfabrication. Nous sommes vigilants quant à l’évolution du coût des déchets et demandons à être avertis au moins six mois à l’avance pour toute augmentation des barèmes des éco-organismes, de manière à l’intégrer dans les devis. La Capeb veille aussi à une répartition équilibrée des points de collecte sur le territoire."

Une appli pour la pierre

Omniprésente dans le bâti en Aubrac, la pierre, matériau atemporel par excellence, devient rare et sous-utilisée. Le Parc naturel régional de l’Aubrac a lancé en septembre dernier "Les pierres collectives", une plateforme numérique de mise en relation de professionnels à la recherche de pierres locales et de ceux qui en disposent. "L’objectif est de travailler en collectif entre artisans, particuliers et agriculteurs pour recenser la pierre présente localement et cartographier cette ressource. Issues de travaux de terrassement ou de voirie, d’une ruine ou d’un stock inutilisé, les pierres sont réemployées dans le cadre de chantiers au lieu d’être abandonnées ou concassées. À la manière du BonCoin, les deux parties s’arrangent directement sur l’aspect financier et les modalités de récupération. Cette approche présente de nombreux atouts pour la biodiversité, la gestion de l’eau, les intérêts paysagers comme environnementaux et contribue à créer de l’emploi localement », explique Nicolas Leblois, chargé de mission paysage et patrimoine bâti au Parc naturel régional de l’Aubrac.

Plus d’infos

Les canaux de collecte

L’écocontribution finance un maillage territorial dense des points de collecte des déchets du bâtiment tous les 10 km (20 km dans les zones rurales), la traçabilité des déchets via un bordereau obtenu à chaque apport dans un point de collecte, une participation à l’enlèvement des dépôts sauvages les plus importants à partir de fin 2024, la reprise sans frais des déchets triés sous certaines conditions.

"Pour bénéficier de la gratuité, les déchets doivent être apportés dans un point de collecte conventionné avec un éco-organisme ou être collectés par les gestionnaires de déchets directement dans les entreprises. Enfin, à partir de 2024, ils pourront être enlevés sur de gros chantiers s’ils représentent plus de 50 m3, un volume que nous voulons faire baisser", souligne Jean-Michel Martin.

Avec l’appui d’un éco-organisme, les entreprises éloignées d’un point de collecte devraient pouvoir s’organiser entre elles pour créer un lieu de reprise mutualisé.

De son côté, Valobat vise le déploiement d’ici fin 2023 de 1.000 points de collecte privés, qu’ils soient déchetteries professionnelles ou distributeurs de matériaux (grande surface de bricolage ou négociant).

En parallèle, l’éco-organisme accompagne le déploiement de la REP dans les déchetteries publiques qui a démarré à l’automne et s’intensifiera dans les prochains mois.

Témoignage : Rémabat, la ressourcerie du bâtiment

Précédemment engagé dans une ressourcerie pour particuliers, Olivier Cagnon a monté Rémabat, pour Réemploi des matériaux du bâtiment. "La quantité de déchets gaspillés, au lieu d’être réemployés, représente un véritable gisement dans le secteur du Bâtiment. Initiée par des entrepreneurs, des syndicats professionnels de branche, des collectivités gestionnaires de déchets et des chambres consulaires (CMA, CCI…), l’association EC3 (Économie circulaire de la construction en Creuse) vise à installer des plateformes de prise en charge des déchets, en conformité avec les obligations réglementaires de la loi Agec, présente Olivier Cagnon, coordinateur du chantier d’insertion et de la ressourcerie de Rémabat à Felletin (23). De mon côté, j’ai lancé une entreprise, en lien avec la structuration EC3, pour réemployer les matériaux. C’est du bon sens : au lieu de créer des déchets, de générer une pollution ou un impact environnemental, on crée de l’emploi afin de contribuer à l’économie locale."

Opérationnelle depuis juillet 2023, l’activité regroupe huit personnes, dont cinq salariés en contrat d’insertion et trois permanents. "Rémabat prend en charge la collecte de matériaux réemployables en pied de chantier ou dans les locaux et propose un service de dépose soignée. Les prestations sont identiques pour les particuliers et les entreprises du bâtiment." Les matériaux et produits récupérés sont triés avant d’être mis en vente à la matériauthèque. "Le matériel électrique est testé et garanti avant de repartir sur le marché. L’objectif est de monter en compétence sur la traçabilité pour valoriser le réemploi auprès des professionnels, l’application de la loi ne le favorisant pas spécialement. La gestion des déchets et le réemploi ajoutent de nouvelles contraintes aux entreprises. La sensibilité est là, le changement d’habitude demande un peu de temps."

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