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Semaine de 4 jours : un levier attractif pour l'artisanat ?

Le 12/07/2023
par Isabelle Flayeux
En France comme ailleurs, le concept de la semaine de quatre jours fait son chemin. Travailler moins, mais mieux serait source de bien-être et d’efficacité autant que facteur de fidélité et d’attractivité. Le changement de rythme passe notamment par une adhésion des salariés, une réorganisation du travail en profondeur et des ajustements au fil de l’eau pour trouver et préserver un équilibre partagé et un gain de productivité.
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Paul-Henry Neyt dirige la Savonnerie de la Chapelle à Bellême (Orne) dont les salariés du laboratoire bénéficient de la semaine de 4 jours.

Les pays sont de plus en plus nombreux à tester la semaine de 4 jours. La France ne fait pas exception.

"On remarque une montée en puissance du sujet depuis quelques années. Les entreprises artisanales commencent à y être sensibilisées et à s’interroger. Aucun secteur d’activité ne peut dire qu’il pourrait s’exonérer de cette réflexion sous prétexte qu’elle lui serait inapplicable. Évidemment, il est nécessaire de prendre en compte les contraintes et les spécificités de l’entreprise, par exemple les process de production, présente Émeline Briones, chargée de développement économique à la CMA de la Gironde.

Par ailleurs, ce mode d’organisation s’inscrit à mon sens dans une réflexion plus globale sur la qualité de vie au travail. Chacun sait que les aspirations des salariés ont évolué." 

La Savonnerie de la Chapelle de Paul-Henry Neyt (voir témoignage ci-dessous) est ainsi entrée dans un nouveau rythme de travail à la demande de l’équipe de fabrication.

"Je n’ai vu aucune objection à ce changement qui satisfait tout le monde aujourd’hui. Cela a simplement impliqué un petit peu de temps au niveau de l’organisation avec un ajustement des plannings mais aucun effort insurmontable",  affirme le dirigeant de l'entreprise.

Autrice et conférencière, Laëtitia Vitaud signe de nombreux écrits sur le sujet. Selon elle, "la mise en place d’un tel dispositif implique à la fois de revoir en profondeur l’organisation du travail – ou comment faire plus en moins de temps – et de baisser le temps effectif de travail."

"La bonne semaine de 4 jours invite à questionner les entreprises sur la manière dont elles travaillent, en profondeur, et incite à faire un double saut qualitatif. Les effets bénéfiques d’un repos allongé s’ajoutent aux innovations initiées dans l’évolution des tâches", Laëtitia Vitaud

Solliciter l’adhésion

Si les modalités de passage à la semaine de 4 jours sont propres à chaque entité, les experts s’accordent à conseiller quelques règles à suivre.

"Cette évolution ne peut être imposée unilatéralement. Elle demande une coconstruction avec les salariés et la mise en place d’une communication assez fluide", souligne Émeline Briones.

Ainsi, l’implication de l’ensemble du personnel apparaît comme une des clés de la réussite. "Le chef d’entreprise qui s’intéresse à la manière de travailler de ses salariés et qui cherche à l’améliorer, recueille généralement assez facilement l’adhésion. Tous perçoivent la sincérité de la démarche et le gain réciproque qui en découle, complète Laëtitia Vitaud. Généralement, le personnel va être plus performant, créatif, imaginatif, aura davantage plaisir à travailler et sera donc plus productif rien qu’avec le gain de repos." 

"Beaucoup d’artisans ajustent déjà le temps de travail en fonction de la matière, de la météo, des activités et des nécessités non contrôlables d’un chantier, de la pénibilité… Ne pas être dans une logique de temps industriel est une force", Laëtitia Vitaud.

Un avis partagé par Paul-Henry Neyt qui évoque des "retours très positifs. Les salariés consacrent davantage de temps à leur famille, aux loisirs comme aux rendez-vous administratifs et médicaux. Je pense que cette satisfaction a même donné un élan, un peu plus de dynamisme et d’efficacité au travail."

L'exemple de la Savonnerie de la chapelle

Héritier d’un savoir-faire transmis de génération en génération, Paul-Henry Neyt dirige la Savonnerie de la Chapelle à Bellême (Orne) dont les salariés du laboratoire bénéficient de la semaine de 4 jours. L’entreprise artisanale produit depuis 2013 des savons saponifiés à froid ainsi que des produits cosmétiques naturels : huiles précieuses, baumes, shampooings… selon un mode de fabrication très spécifique. "Garantir une qualité irréprochable à nos différents produits implique des étapes effectuées avec précision et rigueur. La mise en place d’une nouvelle organisation n’a eu aucun effet négatif sur la production, bien au contraire, présente Paul-Henry Neyt. À tel point que nous avons même augmenté la productivité, notamment parce que les employés arrivent à mieux gérer la production. Ils fabriquent davantage que sur 5 jours."

Une satisfaction partagée. En mars 2022, alors que le prix des carburants connaît une forte hausse, les 4 salariés du laboratoire demandent la possibilité de changer de rythme de travail. "Leur souhait était de réduire le nombre d’allers-retours domicile-entreprise en passant à 4 jours travaillés et de rester le midi sur place. Leur présence sur une journée entière et prolongée permet de pouvoir surveiller les productions en continu et de les caler dans leur intégralité, sans avoir à les étaler sur deux jours." Sensible au bien-être de ses salariés, l’artisan satisfait confie une mise en place peu contraignante. "Le plus compliqué a été de réfléchir à la planification des emplois du temps de chaque équipe car le travail se fait en binôme et il fallait vérifier la cohérence par rapport à la production. Rien d’insurmontable." Les 15 jours de tests ayant été concluants, la semaine de 4 jours perdure depuis avril 2022.

De multiples avantages

Au-delà d’un meilleur équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle, une amélioration du bien-être au travail et une réduction de l’absentéisme font également partie des effets non négligeables du système en 4 jours.

C’est aussi un moyen de conserver les salariés et d’attirer de nouveaux talents. "Étant donné les difficultés de recrutement de certains secteurs d’activité, il est primordial de se différencier ou d’apporter des arguments aux candidats à l’embauche. Et puis ça permet aussi aux entreprises de réaliser des économies en termes de coûts de fonctionnement, par exemple", abonde Émeline Briones.

Car oui, la semaine de 4 jours peut être écologique. "Arrêter la production, éteindre les machines grâce à une optimisation de leur utilisation, afficher un meilleur rendement. Voilà un message fort dans un contexte de contraintes grandissantes sur l’épuisement des ressources et le coût de l’énergie. Devenir plus productif intelligemment", argumente Laëtitia Vitaud.

Quelques points de vigilance

  • Le passage à la semaine de 4 jours, ça se prépare. Mener à bien ce type de réorganisation suppose une réflexion approfondie à laquelle il convient d’impliquer l’ensemble des salariés.
  • La question des modalités d’accueil des apprentis est à étudier, notamment si le changement de rythme s’accompagne d’un maintien de la durée du travail avec une ventilation sur 4 jours.
  • Il convient aussi d’initier une procédure par écrit pour modifier les contrats de travail.
  • Dans certains cas, l’évolution vers un nouveau rythme de travail peut obliger l’entreprise à créer des emplois et induire des coûts supplémentaires, une augmentation des charges sociales par exemple.
  • S’il s’avère que la semaine de 4 jours améliore la qualité de vie au travail, elle peut, de façon antinomique, conduire à une baisse des interactions sociales. Devoir optimiser le temps de présence en entreprise peut entraîner une réduction des échanges informels du fait d’une réduction des temps de pause.
  • Enfin, les retours d’expérience permettent de procéder à certains ajustements, en cas de besoin.
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