Interview

Philippe Plantin : "Il est temps que le réseau des CMA se réveille : ce réseau est utile, il y a des élus motivés"

Le 07/11/2023
par Propos recueillis par Le Monde des artisans
Face à la situation préoccupante du réseau des chambres de métiers et de l’artisanat (CMA), récemment impacté par la révision des coûts-contrats ou encore la baisse du montant de la taxe pour frais de chambre, une assemblée générale extraordinaire a été organisée le 18 octobre dernier par la tête de réseau, CMA France. Philippe Plantin, chef de file "Fiers d’être artisans", a tenu à s’exprimer dans ce contexte tendu…
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Rares sont les communications "publiques" qui émanent de "Fiers d’être artisans" depuis les dernières élections en 2021. Vous avez voulu prendre la parole suite à cette AG extraordinaire. Qu’est-ce qui vous y a poussé ?

Nos membres – qui représentent 44% des élus dans les CMA, 34 présidents de CMA départementales et 3 présidents de CMA de région – sont sans doute ceux qui s’expriment le plus lors des assemblées générales.

Si nous avons voulu prendre la parole, cette fois avec un peu plus de vergogne, c’est parce que nous sommes arrivés au bout du bout.

Aujourd’hui, CMA France est complètement piloté par l’U2P : 100% du bureau de CMA France est constitué de leurs élus. Il n’y a eu aucune ouverture pour les 44% de votants que nous représentons. Nous ne pouvons participer à aucune décision dans tout ce qui est projet, choix stratégiques pour le réseau des métiers.

C’était déjà le cas précédemment : l’U2P a toujours été à la tête du réseau. En 2020, c'est elle qui a négocié la régionalisation avec le ministre délégué à l’Artisanat de l’époque.

Cette décision a permis à cette organisation de garder la main sur le réseau et cela nous a obligés à monter des listes dans tous les départements. Nous l’avons fait, nous avons aujourd’hui des élus dans tous les départements métropolitains, mais pour aboutir au résultat que l’on connaît : aucune place dans les décisions pour le réseau.

Nous en arrivons aujourd’hui à une assemblée générale extraordinaire où l’on nous informe qu’on doit mettre en place des coupes drastiques dans le fonctionnement des CMA sous prétexte que l'on va encore nous prélever plus de taxe pour frais de chambre, taxe versée par les artisans pour assurer le fonctionnement des chambres de métiers.

Grosso modo, ce sont 295 millions d’euros de collectes qui, depuis de nombreuses années, ont été écrêtés à 204 millions. Dernièrement, il a été décidé d’en prendre plus et toujours plus… Entre guillemets, "on étouffe gentiment le réseau" sans pour autant que CMA France se batte bec et ongles pour garder l’argent des artisans au service des artisans. Cela ne peut pas nous convenir et ne peut pas durer.

Autre élément de colère pour nous, nos collègues de l’U2P viennent de sortir une plateforme d’accompagnement des artisans, de la création jusqu’à la transmission de leur entreprise. Soit des prérogatives qui incombent exactement au réseau des CMA ! Donc l’U2P est à la tête de CMA France mais met en face toutes les conditions pour enterrer le réseau, donc nous voudrions comprendre.

Cette hégémonie de l’U2P sur le réseau, ça suffit. Nous ne pouvons pas continuer à cautionner tout ça.

C’est d’ailleurs pour cela que, pendant cette AG, nous avons décidé de ne pas participer aux votes. Non qu’on ne soit pas ultra-volontaires, présents sur les terrains auprès des équipes…, ce n’était pas un vote contre le réseau mais contre cette gouvernance qui nous a menés droit dans le mur.

Quelles propositions défendiez-vous qui n’ont pas été entendues par la tête de réseau des CMA ?

Clairement, en cinq ans, nous avons tout perdu :

  • le stage préalable à l’installation (SPI), qui était capital pour qu’un artisan ait toutes les clés en main au moment de sa création d’entreprise ;
  • le conseil de la formation, un organisme qu’on pilotait, qui était là pour assurer le financement de la formation continue de nos artisans ;
  • la gestion des contrats d’apprentissage pour les jeunes qui passaient par le réseau des CMA, qui permettait là aussi d’assurer la relation et le suivi des jeunes ;
  • le répertoire des métiers, en 2022, qui nous permettait un contrôle de la qualification capital pour que les entreprises artisanales soient connues et reconnues en tant que telles…

Bref, nous avons perdu toutes les missions régaliennes pour ne récupérer qu’un COP, un contrat d’objectifs et performance, qui nous est imposé par l’État et nous oblige.

Pour finir, l’État décide de prendre 30 millions d’euros supplémentaires sur la taxe pour frais de chambre de métiers cette année alors que ça avait déjà été capé à 7 l'année passée. Peut-être que CMA France va réussir à en négocier une partie, mais nous ne pouvons pas nous satisfaire de tendre la main pour qu’on nous coupe deux doigts au lieu de trois.

Cerise sur le gâteau : la révision à la baisse des coûts contrats, les NPEC, réévalués probablement au plus proche de leur juste valeur mais qui vont mettre clairement en difficultés financières un réseau des métiers très dépendant de ce financement de l’apprentissage et qui assurait un bon équilibre financier et des perspectives d’amélioration et de projections des outils de formation du réseau. Rappelons que les CMA sont leaders de la formation par apprentissage et reconnues en tant que tels.

Quel est l’avenir du réseau des CMA selon vous ?

Avec un peu moins de taxe pour frais de chambre et de NPEC, qui faisaient la plus-value financière dans les comptes de nos chambres de métiers, dans deux ans, à ce train, nous sommes dans le rouge, sous tutelle de l’État.

Il est temps que ce réseau se réveille : ce réseau est utile, il y a des élus motivés. Je pense qu’aujourd’hui tous les présidents, départementaux ou régionaux, subissent la mainmise de CMA France sur le réseau. Il était urgent de réagir.

Quelles solutions proposez-vous ?

Nous n’avons pas la main sur grand-chose. Nous ne siégeons pas au bureau exécutif de CMA France du tout. Nous sommes à la tête de trois régions (Île-de-France, Auvergne-Rhône-Alpes et Centre-Val-de-Loire) mais la conférence des présidents de région de CMA France est juste une chambre où l’on pose des dossiers sur table, sans partage de stratégie en amont avec Fiers d’être artisans ou tout autre élu, on en discute mais, à terme, c’est bien le bureau national qui décide et fait valider par sa majorité en assemblée générale.

Je pense que nous aurions pu échanger pour trouver ensemble des solutions, défendre collectivement notre réseau, mais comme on ne nous permet d’accéder à aucune concertation, la seule chose est d’aller échanger en direct avec les ministres concernés.

L’une des pistes de CMA France est de revoir les NPEC, mais sincèrement je ne vois pas pourquoi l’État le ferait spécialement pour le réseau des CMA.

"Mobiliser nos artisans", c’est ce que nous aurions dû faire il y a bien longtemps. Leur dire que la taxe pour frais de chambre, c’est l’argent de leurs entreprises que l’on met au service du réseau des métiers pour les accompagner de bout en bout. Aujourd’hui, cet argent-là part pour d’autres fonctions hors du réseau.

On le voit avec l’Agirc-Arrco, quand on se bat, on parvient à faire changer les choses ! Nous, on ne s’est pas battu avec la conviction de sauver notre réseau. Nous sommes en train de tout mettre par terre à cause d’une gestion partisane, voire catégorielle. Je pense que c’est tout cela qui met à mal un réseau qui, encore une fois, est plutôt performant, avec des hommes et des femmes experts de l’artisanat sur tous les secteurs, de la création à la transmission.

Nos partenaires – comme la CPME et un certain nombre d’organisations professionnelles – ne voient évidemment pas du meilleur œil ce qui se passe.

Je n’ai pas de solutions à vous donner à l’instant T puisque nous n’avons toujours aucun droit de regard…

Même pas dans les 34 CMA de niveau départemental et dans les 3 CMA de Région que vous présidez ?

Justement, nous n’avons pas de moyens d’action ! La politique du réseau des CMA est complètement régie par le bureau national. Lorsque nous sommes en assemblées générales, les dossiers et perspectives organisationnelles et financières nous sont présentés, puis votés en AG. La majorité étant à l’U2P, toutes les dispositions passent et voilà comment on en est arrivé à ce que l’on a aujourd’hui.

En territoire, le réseau est régionalisé, donc un département est dans un mode fonctionnel complètement relié à la région, laquelle est entièrement tenue financièrement par le COP (version COM). Nous sommes en partie financés en fonction des résultats du COP. CMA France tient le budget, nous le distribue si on fait notre boulot. Si vous n’êtes pas dans le chemin déjà tracé, vous ne faites rien.

Nos régions et nos présidents de département n’ont pas la main aujourd’hui sur le fonctionnement de leurs établissements. Nous sommes sous tutelle de CMA France et suivons le mouvement, embarqués dans la "machine".

Au-delà de tout ça je pense aux services qu’on doit aux artisans, je pense à tous les élus qui se sont engagés dans les CMA au quotidien, sur le territoire, qui font le job. Je parle par exemple pour la Bretagne et ses 820 collaborateurs qui, aujourd’hui, ne savent pas où ils vont.

Je ne vous cache pas qu’il y a des démissions, de l’angoisse… C’est vrai que l’horizon n’est pas des plus clairs. Nous avons du mal à pouvoir rassurer toutes les personnes.

Nous avons aussi perdu en proximité à cause de la régionalisation ; on a eu des départs massifs d’agents qualifiés, c’est dommage…

Nous avons également une incapacité à répondre aux projets des EPCI*. Aujourd’hui, ce sont eux qui portent le développement économique des territoires. En contractualisent avec eux, les CMA et CCI sont presque comme des prestataires sur des sujets techniques. Pourtant, nous n’arrivons plus à répondre à leurs appels à projets car nos agents sont moins nombreux et tous cooptés par le COP. 

Au final, on ne fait que mener les actions du COP dont on ne maîtrise pas les contours et on ne s’occupe plus des artisans et de la proximité. A l’origine, ce sont pourtant clairement eux qui sont l'ADN de l’artisanat et des chambres de métiers !

D’une régionalisation on part vers une nationalisation. Après, je ne sais pas jusqu’où l’on ira si l’on continue à ce rythme-là…

* Établissement public de coopération intercommunale.

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