Interview

Dominique Métayer : "Notre ambition est, qu’à terme, le Medef ne puisse plus négocier d’accords contraires aux intérêts des petites entreprises"

Le 19/10/2023
par Propos recueillis par Benjamin d'Alguerre
Nouveau périmètre de l’U2P, devenir du paritarisme de gestion, politique salariale, travail des plateformes, hausse des prix de l’énergie, boucliers tarifaires… Dominique Métayer, président de l'U2P, a dressé pour Le Monde des artisans le panorama des grands dossiers qui heurtent son organisation et les professions artisanales…
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L’U2P engage une transformation de fond en ouvrant un cinquième pôle. Quelles sont les raisons de cette évolution et qu’en attendez-vous en termes de représentativité ?

Partant du constat que les petites entreprises et les travailleurs indépendants ne sont pas suffisamment pris en compte dans les grandes orientations économiques et sociales du pays, l’U2P a engagé il y a un an un processus de réforme.

"Notre principal objectif est d’étendre notre rayon d’action pour qu’à terme les représentants des petites entreprises et des travailleurs indépendants pèsent davantage dans les décisions."

Par ailleurs, les règles qui servent aujourd’hui à mesurer le poids des trois grandes organisations patronales, sont très défavorables à l’U2P.

Nous essayons de changer ces règles, mais en attendant il nous appartient d’élargir les rangs des chefs d’entreprise qui adhèrent à une organisation membre de l’U2P. D’où notre projet consistant d’une part à accueillir au sein d’un cinquième pôle, des organisations qui ne relèvent pas des quatre confédérations membres de l’U2P [la Capeb, la CGAD, la CNAMS et l’UNAPL, NDLR], et d’autre part de permettre aux chefs d’entreprise qui le souhaitent d’adhérer directement à l’U2P de leur territoire.

"Notre ambition est de doubler le nombre de nos adhérents directs et indirects et qu’à terme les représentants des grandes entreprises, le Medef pour ne pas le nommer, ne puissent plus négocier des accords qui soient contraires aux intérêts des petites entreprises."

Unédic, Agirc-Arrco, Action Logement…, la volonté de l’État de renforcer son contrôle sur les organismes gérés par les partenaires sociaux vous inquiète-t-elle ?

Nous considérons que tous les sujets qui ont trait à la vie professionnelle ou qui font l’objet de contributions des entreprises et/ou des salariés, doivent être traités par les partenaires sociaux.

Il est normal que l’exécutif leur fixe des objectifs généraux, mais ceux-ci doivent rester maîtres des négociations qu’ils engagent et des accords qu’ils signent, sans interférence du gouvernement.

L’U2P est donc favorable, non pas à l’indépendance mais à l’autonomie des partenaires sociaux, qui de surcroît gèrent plutôt bien les organismes paritaires.

Qu’attend votre organisation des suites de la conférence sociale qui s’est tenue le 16 octobre ?

Cette conférence a eu le mérite de réaffirmer l’importance que le gouvernement accorde au dialogue social.

"Sachant que durant la première mandature d’Emmanuel Macron les partenaires sociaux ont un peu été mis sur la touche, tout ce qui tend à les replacer au cœur de l’action publique est de bon aloi."

Nous avons pris note de la question sensible du pouvoir d’achat et de la demande de réévaluation de certains salaires.

Deux réponses pour ne pas être trop long :

  • Toute politique salariale relève de la compétence des branches professionnelles. La création annoncée le 16 octobre d’un Haut conseil des rémunérations ne remettant pas en cause ce principe, l’U2P y prendra toute sa place.
  • Par ailleurs, nous avons un instrument d’amélioration du pouvoir d’achat des salariés qui est adapté à nos petites entreprises : la prime de partage de la valeur. Cette prime exonérée de charges sociales et d’impôt, permet à l’employeur d’encourager financièrement les salariés quand la santé financière de l’entreprise le permet.

L’UNAPL a accueilli cet été une fédération de micro-entrepreneurs (UAE) en son sein. Comment se positionne aujourd’hui l’U2P vis-à-vis de ce statut face auquel elle était vent debout il y a encore quelques années ?

La micro-entreprise n’est pas un statut d’entreprise mais un régime social et fiscal. Il est avantageux par sa simplicité.

Il est dangereux parce qu’il peut créer une concurrence déloyale à l’égard des entreprises de droit commun, et parce qu’il risque d’enfermer le micro-entrepreneur dans une forme de précarité.

"L’U2P n’est pas "vent debout" contre ce régime et reconnaît qu’il peut être utile au moment du lancement d’une activité professionnelle."

En tout état de cause nous sommes ravis que l’UAE ait rejoint l’UNAPL. Et je n’oublie pas que nos organisations professionnelles accueillent une part croissante de micro-entrepreneurs parmi leurs adhérents.

Depuis 2022, le gouvernement a organisé, sous l’égide de l’Autorité de régulation des plateformes d’emploi (Arpe), un début de dialogue social pour les travailleurs ubérisés. Une demi-douzaine d’accords relatifs à la mise en place d’un socle de droits pour les livreurs et chauffeurs VTC ont déjà été signés. Y voyez-vous une concurrence déloyale ?

La question n’est pas tellement celle de la concurrence déloyale. L’important pour nous est de protéger le travail indépendant.

Certaines plateformes font travailler des acteurs dans des conditions qui s’apparentent davantage à celles d’un salarié sous payé et sans protection sociale qu’à celles d’un indépendant. D’où des décisions de justice qui tendent de plus en plus à requalifier en salariés des travailleurs des plateformes.

"Un travailleur indépendant doit être maître de son temps, du choix de ses clients et de sa façon de travailler."

Au-delà de ça il n’y a pas de combat d’arrière-garde de notre part et de nombreuses activités de proximité savent s’emparer des nouvelles technologies ou des nouveaux procédés pour se développer.

Où en sont les différents boucliers tarifaires mis en place par le gouvernement pour amortir les augmentations des coûts de l’énergie ?

Même si tout n’est pas parfait, l’U2P est satisfaite du travail accompli en 2022 et 2023 en étroite collaboration avec Bercy pour limiter les conséquences de la flambée des prix de l’énergie sur nos catégories d’entreprises : bouclier tarifaire, amortisseur électricité, et guichet gaz-électricité.

Bruno Le Maire, nous a encore redit récemment son souhait d’être informé de toutes les spécificités professionnelles afin d’examiner d’éventuelles solutions complémentaires. Mais nous ne pourrons pas éternellement puiser dans le budget de l’État qui est déjà très déficitaire.

"N’oublions jamais que les dépenses publiques d’aujourd’hui sont nos impôts de demain !"

Le bouclier tarifaire devrait disparaître totalement le 1er janvier 2025. Espérons que d’ici là les tensions inflationnistes se seront éloignées.

Agirc-Arrco : les raisons de la colère

Lors de la conférence sociale du 16 octobre dernier, les délégations du Medef, d’un côté et de l’U2P et de la CPME de l’autre, auront pris soin de s’éviter mutuellement. Normal. La fin de la négociation sur les retraites complémentaires Agirc-Arrco a laissé quelques séquelles et quelques rancunes entre organisations patronales dont on ignore encore si elles seront durables. CPME et U2P étaient prêtes à laisser l’État ponctionner 500 millions cette année sur les excédents du régime pour renflouer le régime général des retraites en échange de l’instauration d’un minimum contributif au régime qui aurait permis d’augmenter la pension des allocataires ayant effectué une carrière complète au Smic. Une concession refusée en bloc par le Medef, braqué sur ses positions de principe. Résultat : l’État qui ambitionne de revaloriser les plus petites pensions risque de prélever près d’1,3 milliard sur le trésor de guerre des complémentaires, fragilisant ainsi le régime. "Un rendez-vous manqué", juge aujourd’hui Jean-Christophe Repon, le négociateur U2P. Et une déchirure dans le camp patronal…

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