Opération Artisan d'un jour

De la plume à la scie

Le 21/03/2018
par Samira Hamiche
A l’occasion de la Semaine nationale de l’Artisanat, j’ai troqué calepin et ordinateur contre scie japonaise et affleureuse. Immergée dans le quotidien d’Alexandre Bourdonnais, luthier en guitares dans les Yvelines, j’ai découvert la patience et la minutie que requiert ce savoir-faire "qui résonne".
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Heaven Guitars Artisan d'un jourDans le cadre de l'opération "Artisan d'un jour", Alexandre Bourdonnais (g.) m'a ouvert son atelier, ainsi qu'à Julia Navarro, chargée de communication à la Chambre de métiers et de l'artisanat des Yvelines.

Y avait-il meilleur cadre pour accueillir le printemps ? Lové dans un corps de ferme entouré de champs verdoyants, à Crespières, dans les Yvelines, l’atelier de Heaven Guitars est un havre de paix… Et de rock’n roll ! C’est dans cette atmosphère douce et inspirante, voisine d’une miellerie et d’une biscuiterie, qu’Alexandre Bourdonnais a installé ses établis en 2009. Peu captivé par ses études de comptabilité, et surtout fasciné par les basses et guitares du groupe de rock Muse, le jeune artisan a voulu vivre "à fond" sa passion pour la facture instrumentale… Et s’en est donné les moyens. "J’ai fait mes études à l’école de lutherie de Newark, en Angleterre : l’une des plus exigeantes d’Europe", rappelle-t-il. "En France, il n’y a hélas pas de formation aussi solide pour la lutherie en guitare", regrette Alexandre, qui a vu défiler chez lui des apprentis peu préparés aux gestes du métier. 

Bon sang, me dis-je alors, serai-je donc une apprentie à la hauteur ? Soudain, j’imagine LE scénario catastrophe :

Exposées au mur, quelques guitares et basses élaborées par notre hôte. L’une d’elles (en haut à gauche) est le fruit d’une collaboration avec un métallier, qui a imaginé une structure peu commune. Au fil du temps, Alexandre Bourdonnais s'est tissé un beau réseau de professionnels et de mélomanes. Le "bouche-à-oreille" a fait son oeuvre...

Heaven Guitars propose des modèles originaux et totalement personnalisables. Chaque année, une poignée de guitares et basses classiques sortent de son atelier. Mais elles sont toutes singulières, avec un haut niveau d'exigences. "Chaque instrument est unique, il n’en existera pas deux qui sonneront de la même manière", note le luthier. L'essence de bois, le vernis, les cordes utilisées bien sûr, ou encore les variations de température influent sur le timbre de l’instrument. L’âme des musiciens également, et leurs demandes très variées. "Je travaille actuellement sur une guitare électrique avec plusieurs pédales (circuits d’effets) intégrées", illustre Alexandre. 

A quel titre culte et universel de Led Zeppelin "Heaven Guitars" fait-il référence ? Stairway to Heaven, of course ! Un avantage à l'export...

Les choses sérieuses commencent...

Ma mission du jour : dégrossir un manche de guitare classique en cours d'élaboration. Il se compose de deux pièces brutes de bois d'érable ondé torréfié, préalablement collées. Même s'il est déjà possible de se figurer le rendu final, notamment grâce à la courbure, il va falloir en tailler une grande partie.

Première étape : s'armer d'un crayon de papier et de réglets pour tracer des repères sur le bois. Il faut délimiter les contours du manche final et tracer en son centre le chemin d'une saignée. Celle-ci accueillera un élément capital : le truss rod, une tige métallique servant à stabiliser la forme du manche soumis à de fortes tensions et à en ajuster la courbure. Je redouble de concentration pour être la plus précise possible, écoutant à la lettre les instructions de mon maître d'apprentissage...

Je tranche, je rafraîchis, je crée de l'espace

Passés les tracés, dont une mesure au trusquin, il faut creuser la saignée. Pour cette opération, qui s'exécute en plusieurs passages, je me munis d'une affleureuse, qui permet de tailler le bois délicatement en ajustant la hauteur de la fraise. Après quelques consignes de sécurité et une démonstration de mon hôte luthier, je me lance ! 

Passons ensuite à la défonceuse. Plus massive que l'affleureuse, elle permet des coupes plus franches. Toujours guidée par les consignes d'Alexandre, je réalise plusieurs passes pour affiner la tête. 

De manière inattendue, je me retrouve propulsée au Levant, grâce à la découverte d'outils fascinants : les scies japonaises. Leur denture inversée permet de scier finement en tirant la lame.

Dernière étape de ce dégrossissage : une découpe de la plus grande partie du manche, à la scie à ruban.

Le bois, matériel vivant

L'odeur du bois est fantastique et rappelle le sirop d'érable. J'ai donc trouvé ce qui liait la lutherie à la biscuiterie voisine ! Du cocobolo qui cerne la caisse de résonance au palissandre, en passant par l'acajou, le cèdre ou l'épicéa, chaque essence dégage une odeur spécifique, rappelle Alexandre. 

Le bois est un matériau exigeant, qu'il faut savoir maîtriser. J'en apprends beaucoup sur les précautions que nécessite sa découpe et sur les variantes ("bois de fil" : coupe longitudinale, ou "bois de bout" coupé et travaillé perpendiculairement au fil). 

"J'ai la sciure qui me démange, alors je m'gratte un petit peu..."

Minutie, toujours

Nous passons justement à la pose du gabarit de la tête. Ce dernier, universel, permet une taille précise. Là encore, gare au sens de la coupe dans les angles ! Alexandre me les détaille consciencieusement...

Seront aposés sur cette base du manche le truss rod, la touche (planche de bois dur), les frettes, sillets de tête, boutons et mécaniques... S'en suivront plusieurs autres étapes d'assemblage et finition. "Une guitare peut être terminée en une semaine", estime Alexandre. 

Fière d'avoir pu faire avancer ce chantier, je me lance dans une démonstration de "air manche de guitare", que je ne pouvais achever sans un signe des cornes (qui n'est toujours pas, rappelons-le, breveté), surgi comme un toc.

L'intelligence de la main en action

Ces quelques moments passés dans l'atelier de Heaven Guitars m'ont permis de mesurer le savoir-faire et la dextérité déployés chaque jour par l'artisan. Loin du cliché de l'artisan "100 % manuel", cette initiation m'a également permis de comprendre les liens entre la théorie et la pratique, entre les gestes académiques et la liberté créatrice de l'artisan. 

Une expérience à renouveler, donc ! Et si ce reportage vous a donné envie de vous initier à la lutherie, ou mieux, de fabriquer la guitare ou la basse de vos rêves, sachez qu'Alexandre Bourdonnais organise régulièrement des stages (le contacter via son site ou sa page Facebook).  

Mes plus chaleureux remerciements à Alexandre Bourdonnais et à son épouse pour leur accueil, ainsi qu’à Julia Navarro, chargée de communication à la CMA des Yvelines et à l’APCMA, organisatrices de cette initiative inscrite dans le cadre de la Semaine nationale de l’Artisanat. 

==> Découvrez aussi l'expérience de ma collègue Julie Clessienne, fabricante de fèves d'un jour !

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